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L’Hétéronomie

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L’hétéronomie est l’utilisation d’un vocabulaire utilisé dans l’antiquité et au moyen âge pour annoncer l’évangile. Cette langue faisait appel au surnaturel pour exprimer d’indéniables vérités spirituelles. Retrouver la saveur de ces vérités en utilisant le vocabulaire de la modernité est un défi à relever.

Tout le langage construit par le christianisme pendant 2 000 ans s’est transformé en une langue étrangère à partir du XXe siècle. La raison en est qu’au XVe siècle une révolution copernicienne s’est produite. « L’humanisme dit Lenaers, provoqua l’émergence au siècle suivant des sciences modernes, qui en quelque 300 ans changèrent la face de la terre »[1]. Les mots ont perdu leur ancien contenu et ont acquis une nouvelle signification. L’image que l’on se faisait de Dieu était inspirée par exemple par l’image du roi d’alors, tout-puissant, au-dessus des lois. S’il existe encore aujourd’hui des rois, ils ne suscitent plus ces sentiments aux concitoyens qu’ils côtoient. Ce changement du sens des mots a mis du temps pour s’inscrire dans la modernité. Pourtant bien des gens parlent encore comme on pensait au Moyen-âge.

Parler d’un Dieu tout-puissant capable d’intervenir dans le monde en mettant au défi les lois de la physique ne peut plus convaincre grand monde aujourd’hui. Prêtres ou pasteurs parlent aussi du Fils de Dieu qui, il y a 2000 ans, serait descendu du ciel, puis après sa mort, serait ressuscité et serait remonté au ciel 40 jours plus tard, en attendant de revenir un jour juger les vivants et les morts. Ils n’ont pas renoncé au monde « d’en haut ». Ils souhaitent que les fidèles gardent au cœur et en tête la vision chrétienne du passé, qu’ils aient toujours la conviction que notre univers dépend totalement d’un autre univers et font de temps à autre appel au surnaturel. Exactement comme si notre monde était dirigé par un Dieu omniscient, tout-puissant, résidant "là-haut" dans les cieux. Les chrétiens doivent alors rester habités par l’espérance que les puissances célestes vont répondre avec bienveillance à leurs prières, à leurs supplications. N’est-ce pas la vérité puisque la Bible le dit ? Mais pourquoi ignorer que les auteurs des textes sacrés du passé s’exprimaient dans une culture et un environnement très différent du nôtre pour dire des vérités pourtant toujours à redécouvrir.

 Cet univers pré moderne d’autrefois, se définit comme univers hétéronome parce que dans cette perspective, notre monde est complètement dépendant de cet autre monde, de « ce monde d’en haut ». L’ennui est que plus personne aujourd’hui n’adhère intellectuellement à cette vision hétéronome. L’analyse historico-critique commencée par quelques humanistes au XVII et XVIIIe siècle, a en effet fissuré l’unanimité avec laquelle on acceptait l’existence de cet autre monde. Descartes lui-même, et hommes de science de son époque, adhéraient encore à une vision hétéronome. Mais peu à peu, au fil des siècles, « il ne resta plus aucun recoin où l’hétéronomie aurait pu se réfugier. La baguette qui dirige le ballet des planètes et des astres ne se trouve pas hors de ce monde : le cosmos suit sa propre mélodie, obéit à ses propres lois, est autonome. Un nouvel axiome, opposéà celui de l’hétéronomie, faisait son entrée et éliminait peu à peu l’ancien ». 

 Retrouver la langue de la modernité pour dire notre foi dont les fondements sont toujours ceux des Écritures est possible. Cela demande bien entendu un petit effort. En effet, il va falloir mettre au rebut un catéchisme complètement dépassé, et cela heurte nos habitudes. Il va également être nécessaire de retranscrire les vérités contenues dans ces textes parfois mythologiques, pour en retirer la vérité contenue derrière les images utilisées par leurs auteurs. Ces derniers vivaient dans une culture et un environnement totalement différents du nôtre. Leur univers n’hésitait pas à faire appel au surnaturel pour exprimer la vérité de leurs expériences spirituelles. Garder le suc, l’essentiel de leur vécu et l’exprimer avec le vocabulaire de la modernité, c’est la seule façon de restituer le message d’amour de l’évangile pour qu’il soit compris et entendu aujourd’hui.

H.L

 



[1] Roger Lenaers =, Un autre christianisme est possible , Golias2011


La révolution Luthérienne

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Luther était un être timoré, angoissé. Que deviendrait son âme à sa mort ? Cette question la taraudait. A la lecture de l’épitre aux Romains de l’apôtre Paul, il a une révélation : le salut ne se trouve pas dans des lois, dans la contrition, la mortification, ou les œuvres. L’homme en effet est constitutivement pécheur. Mais Dieu seul est en mesure de racheter les péchés des hommes, de nouer avec eux une nouvelle alliance. Il suffit à donc à l’homme  de confesser son impuissance pour obtenir son salut en se laissant aller à la bienveillance de Dieu [1]. Le salut est acquis par la foi comme le dit l’apôtre Paul. « Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ » ( Ro. 5, 1). La justification par la foi est signe de la liberté.

Dieu est accessible à la conscience individuelle par la foi, l’amour, et dans une certaine mesure la raison.

Si un  petit enfant, à la suite d’une bêtise, d’une maladresse, d’un traumatisme, d’un accident de la vie, se sent perdu, abandonné, en détresse, et s’il sent qu’il peut se jeter dans les bras de son père ou de sa mère, ou de quelqu’un en qui il a confiance, il saisit la main tendue.  Il a eu la foi. Il est désormais en paix avec lui-même. Il ne doute plus de lui-même en tant qu’individu. C’est l’expérience de Luther. Dieu apparaît ainsi  comme tuteur de résilience à l’image du père, de la mère ou du bon Samaritain dont je parlais. Cette rencontre  permet à celui  qui était en déshérence de retrouver l’énergie qui lui permet  de naître enfin à lui-même parce qu’il a eu la foi. Il a su que quelqu’un enfin croyait en lui.  Et, libéré, il va de l’avant.


Comme le rappelle le pasteur Aubert, en se présentant devant la diète de Worms du 16 au 18 avril 1521, Martin Luther fait la déclaration désormais célèbre dans laquelle le rôle de la conscience est déterminant.  « A moins d'être convaincu par le témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes, car je ne crois ni à l'infaillibilité du pape ni à celle des conciles, puisqu'il est établi qu'ils se sont souvent trompés et contredits, je suis lié par les textes bibliques que j'ai cités. Tant que ma conscience est captive des paroles de Dieu, je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni salutaire d'agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen ».

 

La Bible est donc  la seule référence personnelle de Luther.

 La révolution luthérienne est fondamentale. Alors que l’être humain n’existait que par la place qui lui était assignée dans la société, qu’il n’avait pas à penser puisque l’Église- ou l’État- pensait pour lui, qu’il n’était rien qu’une infime partie du tout, voici que tout d’un coup, Luther peut dire : « j’existe en tant qu’individu, en tant que personne. La preuve ? Je peux être en relation directe avec Dieu, en communion avec lui ». Cela permet de dire à quiconque vit cette expérience : « je suis, j’existe en tant que personne.  J’en ai parfaitement conscience ». C’est là une des sources d’une forme de l’individualisme.

 La conscience est pour le réformateur le lieu principal de la décision chez l'homme. Cette conscience ne trompe pas. Elle se place au-dessus de tous les systèmes d'autorité, même les plus élevés comme celui de la papauté ou du roi. Et pour finir, que serait un homme qui agirait contre sa conscience ?

Luther a détruit l’édifice de la religion, du ritualisme, de sa domination sur l’individu.
Cette démarche va être systématiquement reprise par les penseurs, les philosophes qui n’hésiteront plus à douter des « autorités » pour oser affirmer leurs convictions [2]. Héritiers de cette démarche, nous sommes aujourd’hui tous plus ou moins protestants, que nous croyons on non !

Luther a vécu le « Lâcher prise », pour se laisser aller à la bonté divine, pour se libérer de la question de son salut. Bref, se rendre libre, c’est se rendre plaisant à Dieu »[3]. Dieu est accessible à la conscience individuelle par la foi, l’amour et, dans une certaine mesure, par la raison.  Il est également libéré de la tutelle de l’Église, de la loi, exactement comme Paul, à la suite de Jésus, l’avait été de la tutelle légaliste des pharisiens.

 L’insertion dans le monde

Quelle est maintenant la mission des chrétiens  pour Luther ? Il exhorte ceux qui ont renoncéà chercher le salut que ce soit au ciel ou sur terre, à se consacrer à leur vocation, au travail donc, puisqu’ils n’ont  plus à s’occuper de la destination de leur âme. Ils doivent se consacrer  à leur famille, à leur paroisse.
Luther n’a pas la préoccupation calviniste de réformer le monde. Il faut l’accepter tel qu’il est. Le travail tel que Dieu l’a fixéà chacun est le but même de la vie. Ainsi le chrétien s’inscrit dans le monde puisqu’il y agit. La participation en Dieu de Luther  est contemplative. Il laisse aux autorités politiques le soin de diriger la société. Il suit les directives de l’apôtre Paul.


 «  C’est ainsi que la Réforme fait du travail, de l’idée de devoir ordonnéà la profession, ou encore de Béruf ( mot que Luther a employé et que l’on peut traduire par vocation) la pierre angulaire de la conscience européenne, la nouvelle loi de la bourgeoisie à naître ».[4]  Celui qui aurait assez de bien pour  vivre sans rien faire doit néanmoins travailler pour mériter son pain. Cet ascétisme contribuera au développement du capitalisme. Telle est la thèse que  Max Weber va développer en se référant davantage à Calvin qu’à Luther

dans son ouvrage L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme.

 

H.L.

 

 



[1] Mark Alizart , Pop théologie, PUF, 2015

[2] Nietzshe, Heidegger, hegel, Kant et bien d’autres ont puisé au pot du luthéranisme.

[3] Mark Alizart, Pop théologie, Puf 2015

[4] id.

A la découverte de Dieu au-dessus de Dieu

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Voici un petit parcours de différentes représentations possibles de Dieu, histoire de laisser de côté le dieu que l’on prie encore dans les Églises, celle d’un Dieu lointain qui superviserait l’univers du haut du ciel, pour  terminer sur un Dieu de la profondeur, à portée des non croyants et des chrétiens qui quittent leur église. 

Le déisme :[i]

Considérer que Dieu est l’Être suprême, le grand Architecte qui existe quelque part est une vision déiste.  C’est une vision d’un Dieu horloger du monde, une conception « naturaliste ». Dieu n’est pas considéré comme  identique à la nature, mais comme le fond créatif de tous les objets naturels. Aujourd’hui cette vision naturelle a presque totalement disparu. La nature est considérée par les hommes de science en termes  matérialistes, mécanistes. L’hypothèse Dieu n’a aujourd’hui plus aucune valeur pour interpréter et comprendre la nature.

Conception non religieuse de Dieu

L’homme a appris à répondre à toutes sortes de questions sans  recourir à Dieu, que ce soit dans les domaines de la science, dans les affaires humaines. Le monde est devenu adulte dit Bonhoeffer. Il peut se passer de Dieu pour expliquer le monde. L’hypothèse Dieu n’a plus aucune valeur pratique pour l’interprétation et la compréhension de la nature. Dieu a étééliminé du monde.

Le théisme

Le théisme est une certaine façon de concevoir Dieu. Le théisme considère que Dieu est un être extérieur au monde. Ce serait une divinité  dotée d’un pouvoir surnaturel qui voit tout, sait absolument tout. Le théisme fait de Dieu une personne céleste, parfaitement parfaite, qui réside au-dessus du monde et de l’humanité. Nombre de personnes sont des anti-théistes plutôt que des athées. «  Si le christianisme doit survivre …il n’y a pas de temps à perdre pour le détacher de ce schéma de pensée, de cette théologie particulière, et pour penser fortement à ce que nous devrions mettre à sa place ».[1]

Les auteurs bibliques étaient théistes

 Nombreux sont les passages bibliques qui présentent Dieu sous une image théiste. Par exemple Dieu a provoqué le déluge pour punir les humains de leur mauvais comportement. Il a tué tous les premiers-nés égyptiens pour que le pharaon prenne peur et permette enfin au peuple juif de quitter l’Égypte. Les écrivains du Nouveau Testament ont employé un langage mythologique. Ils s’exprimaient dans un langage aujourd’hui périmé du cosmos. La rédemption du Christ est présentée comme un événement supranaturel, comme une incarnation d’un être céleste venu par une naissance miraculeuse et retourné par ascension à la sphère céleste.  Ce langage  est une tentative  pour exprimer  la signification, l’importance ultime, inconditionnelle  de l’événement historique de Jésus- Christ. Cela devient « Dieu », Être d’en haut, envoyant son « fils » ici-bas. Cette  vision mythologique   s’efforce de rendre objectif, véridique,  un événement historique transformé en opération surnaturelle.

Origine de cette notion théiste

 Nos lointains ancêtres dit Spong,[2] observèrent qu’il y avait d’autres formes de vie que la leur. Ils se demandaient d’où venaient ces organismes vivants, quelle était leur origine. Il devait y avoir une puissance pour animer l’écoulement des eaux, la puissance du vent, la chaleur du soleil, la lumière de la lune. Y avait-il un esprit au-delà du ciel pour contrôler ces forces ? Pouvait-on faire quelque chose pour rendre cet esprit favorable aux desseins humains ? Dieu naquit ainsi comme une divinité en dehors et au-dessus de notre vie, pourvue d’un pouvoir surnaturel. Un  dieu unique  finit par s’imposer sur les autres divinités existantes. Il dirigea le monde en dieu tribal, surveillant et protégeant son « peuple élu ». Dès lors l’angoisse humaine devint supportable. Il y avait un être suprême au-dessus des hommes, plus puissant qu’eux et capable de les protéger et de les défendre. Des religions purent définir les moyens de célébrer le culte qui permettait de gagner la faveur de Dieu.

L’hypothèse de Feuerbach

Feuerbach pense que l’homme attribue à Dieu, à un être parfait, l’amour, la sagesse, la justice. Or ces attributs sont humains. En fait pour lui la théologie n’est rien d’autre que de l’anthropologie. La connaissance de Dieu ne vient, pense t’-il, que de la connaissance de l’homme.  Ce qui  revient à déifier l’homme.

Le supra naturalisme

Le supranaturalisme consiste à interpréter la transcendance en disant que le divin se trouve dans un monde transcendant, au-dessus de la nature. Les athées abolissent le supra naturalisme en affirmant que la transcendance n’existe pas, car  la religion ne fait que tenter de maintenir la solidarité  entre les hommes en utilisant la catégorie Dieu. La transcendance est un attribut de l’homme et non de Dieu.

Le fondement de l’être[3]

Le fondement de l’être est une nouvelle manière de parler de Dieu. C’est Tillich qui a défini cette idée d’un Dieu qui pénètre toute vie. Pour Tillich tout ce qui existe, tout ce qui vit, est enraciné en Dieu. Plus nous vivons profondément, totalement ce que nous sommes capables d’être, plus nous manifestons la présence de Dieu, fondement visible de notre être.

Dieu au-dessus de Dieu

Il faut penser Dieu autrement explique A. Gounelle., non pas comme extérieur à nous, ni comme identique à nous, mais comme cette puissance d’être, cette puissance pour la vie, qui nous habite et agit en nous sans se confondre avec nous. Il faut penser Dieu « au-dessus de Dieu » c’est-à-dire au-delà des doctrines, des images et des rites qui servent à l’exprimer et qui n’ont de vérité et de puissance que si on y voit des symboles de cet Ultime qui nous dépasse tout en demeurant en nous, qui est la puissance d’être qui affronte en nous le non-être. Tillich estime qu’en tout être humain, il y a une foi, pas forcément une foi religieuse, mais une foi en des valeurs, une foi dans la vie. La foi ne se situe pas à côté ou à propos de la vie, quand on essaie de la comprendre ou de réfléchir sur elle. Elle surgit du cœur même de la vie ; elle est la vie, elle est ce courage d’être qui fait d’elle ce qu’elle est. Le courage, c’est-à-dire l’affirmation de soi qu’implique chaque moment de notre existence implique une transcendance, puisque sa source ne se situe ni dans le monde ni en nous. Cette transcendance, ce « Dieu inconnu » et pourtant toujours proche, prend visage pour nous dans une révélation. La Révélation rencontre et dévoile quelque chose que nous portons en nous. Tillich nous invite à nous étonner du banal et du courant,  à développer une spiritualité non pas de l’extraordinaire, mais du quotidien. Vivre a une grande profondeur fait découvrir que la présence de Dieu est constitutive de notre existence.

Le résumé de Robinson.[4]

« Dieu, est  fond, source de notre vie  (…) plus proche de nous que nous ne le sommes nous-même ».
L’Esprit de Dieu est le fond même de notre véritable être. Le premier chapitre de l’épître aux Corinthiens le confirme:  « Pour nous, nous n’avons pas reçu l’esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu » (Co. 2, 12 ). On ne peut comprendre les choses profondes de Dieu,  qu’en les cherchant dans les profondeurs de notre âme.  Comme le disait Bonhoeffer, c’est une connaissance non religieuse de Dieu.

H.L.



[1] John A.T. Robinson, Dieu sans Dieu, Nouvelles éditions latines.

[2] John Shelby Spong, Jésus pour le XXI e siècle, Éd. Karthala 2013

[3] A. Gounelle, Paul Tillich,une foi réfléchie,  Olivetan, et site Gounelle

 



[i] John A. T. Robinson, Dieu sans Dieu., Nouvelles éditions latines.

L’accès à l’autonomie

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De l’hétéronomie…

Les représentations chrétiennes traditionnelles sont celles d’un monde totalement dépendant d’un autre monde, extérieur au nôtre, et dont les lois s’appliquent ici-bas. L’existence de cet autre monde n’est  pas démontrable, mais il est imprimé dans nos têtes. L’Ancien Testament comme le Nouveau, Jésus lui-même, tout l’héritage des Pères de l’Église, tous les conciles, fonctionnent, s’expriment dans cet univers mental prémoderne et hétéronome. Ce n’est que très tardivement que quelques théologiens nous ont invités à sortir de cet univers mental, à penser la foi hors de ces représentations fondées sur le surnaturel.

A L’autonomie

« Mais au seizième siècle commence à s’ouvrir une fissure dans l’unanimité avec laquelle on acceptait jusqu’alors l’existence de cet autre monde. Le développement de sciences exactes, qui débute en Europe à ce moment, amène la conviction que la nature suit ses propres lois lorsque la régularité de celles-ci peut se calculer, que l’on peut en prévoir les effets »[1]. Les philosophes des Lumières ne se libérèrent pas tous de cet univers mental hétéronome, mais ils prennent néanmoins leurs distances avec la religion pour laisser l’autoritéà la raison qui pouvait à juste titre donner tort à l’Église sur sa conception du fonctionnement du monde. C’est bien Galilée qui avait eu raison de dire que c’est  la terre qui tourne autour du soleil et non le soleil qui tourne autour de la terre ! Condamné par l’Église en 1635, il ne fut réhabilité qu’en 1992 ! C’est dire combien il fallut de temps pour sortir de l’univers mental de l’hétéronomie.

L’individualitéémerge

Luther a été l’un des premiers à affirmer l’affirmation de soi, à s’autoriser à penser par lui-même au risque d’être en opposition aux autorités religieuses du moment. Avant Luther, rares étaient les personnes qui osaient dire ce qu’elles pensaient si cela ne correspondait pas à ce que tout le monde croyait, et surtout à ce que l’Église en particulier affirmait. C’est l’Église qui imposait sa vérité. [2] Quand Luther ose dire comme le dit l’épitre aux Romains, que l’on est sauvé par la foi et non par les œuvres, il est sommé par l’Église de se rétracter.  Il répond : « Ma conscience est prisonnière de la Parole de Dieu. Je ne puis ni ne veux me rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ». Le prêtre qui dirige les débats lui avait alors répondu : « Abandonne ta conscience frère Martin ; la seule chose qui soit sans danger est de se soumettre à l’autoritéétablie ».       
Il faudra attendre plusieurs siècles avant que l’esprit de tolérance finisse par supporter que l’autre pense et croie ce que l’on désapprouve[3]. La liberté de conscience viendra encore plus tard. C’est l’individu qui s’impose comme norme sociale et non plus la société qui impose sa propre façon de penser.

La modernité   

La Réforme marque à coup sûr un tournant crucial. Ce fut, dit Marcel Gauchet,  un commencement. « La suite s’est jouée indépendamment d’elle et éventuellement contre elle »[4]. En effet la deuxième révolution religieuse de la modernité  s’est opérée au XVII e siècle en dehors de son inspiration directe. Cela se concrétisera d’ailleurs par la deuxième réforme qui débouchera sur le libéralisme théologique.

H.L.



[1] Rogers lenaers, Un autre christianisme est possible, Glias2011

[2] Pensons à Galilée, cet astronome italien qui a vécu à la fin du seizième siècle. Il avait observé qu’effectivement, comme le suggérait Copernic, la terre tournait autour du soleil. Comme l’Église pensait le contraire, il fut obligé de se rétracter. Condamnéà la prison à vie, il finira assignéà résidence.(  Ce n’est qu’en 1992 que l’Église a fini  par le réhabiliter!) .

[3] L’Édit de Versailles (1787) autorise la construction de lieux de cultes pour les protestants à condition que leur clocher soit moins haut que celui de l’église catholique.- Wikpedia-.

[4] Marcel Gauchet, Un monde désenchanté, ed. De l’Atelier 2004. 

Dieu rencontré en Jésus

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La thèse de Spong

 Si l’on pense que Jésus est l’homme par lequel Dieu a pénétré la vie de ce monde, l’on doit pouvoir se faire une idée du Dieu qu’il révèle en l’écoutant. Le Dieu qu’il révèle  est très différent du Dieu que nous imaginons.
Spong en a conclu que l’idée que les Églises s’étaient faites de Dieu depuis 4 ou 5 siècles, n’avait rien à voir avec l’idée de Dieu que lui-même, Spong,  s’en était faite en allant à la rencontre de Jésus. Il ne croyait plus que Dieu était en haut quelque part dans l’au-delà, pouvant intervenir dans le monde comme il le désirait, disponible pour exaucer les prières qu’on lui adressait, récompensant  ou punissant selon sa volonté.

Une malheureuse compréhension

 Après l’avoir interviewé sur ses convictions religieuses, un jeune journaliste  publia un article qui disait : notre évêque est athée. Cela valut à Spong une quinzaine de menaces de mort. Il en déduisit  que le jeune journaliste était théiste et pensait  que si l’on n’est pas théiste, on est athée. Spong ajoute :  « quand je dis que Dieu était en Christ, ou quand j’affirme que je rencontre Dieu dans la personne de Jésus, ce que je veux dire est très différent des définitions théologiques du passé…Pour en arriver à  dire qui était Jésus , et même qui est encore et toujours Jésus, je dois aller au-delà de la définition traditionnelle théiste de Dieu ». Mais le théisme peut mourir sans pour autant que Dieu ne meurt.

Du big Bang à la création de l’homme

 Spong s’efforce alors d’expliquer l’origine du théisme. Il part de l’histoire du cosmos, de ses origines avec le Big Bang, décrit l’apparition de la vie, des êtres vivants, et enfin des humanoïdes il n’y a pas plus qu’un million ou deux d’années. L’évolution de cette forme de vie déboucha il y a cinquante à cent mille ans sur l’apparition des êtres humains qui, à la différence des autres êtres, avaient une conscience, la conscience d’être soi. Nos lointains ancêtres prirent en considération  la futilité de la vie, de  leur naissance à leur mort, et s’interrogèrent sur le sens de l’existence. Le théisme a été leur réponse.

Source du théisme

 Le théisme est un mécanisme humain d’adaptation. Pour contenir et refouler l’angoisse née de la prise de conscience de l’impossibilité de donner un sens à sa vie, de la naissance et à la mort, l’être humain a trouvé une réponse dans la réalité de la présence d’un dieu théiste, qui possède la connaissance et les pouvoirs surnaturels capables de résoudre les problèmes insurmontables pour l’être humain si ce dernier sait gagner les faveurs d’un tel dieu.

De l’animisme au Dieu unique

 L’animisme fut  première étape du cheminement de cette pensée par la prise de conscience qu’il devait y avoir une puissance qui animait  toutes les formes de vie, celle des plantes comme celle des animaux qui existaient sur terre. Les humains attribuèrent la conscience d’eux-mêmes à cette puissance qu’ils appelèrent l’esprit. Cet esprit, ou ces esprits  invisibles étaient pourtant observables par leurs effets. Ils habitaient aussi bien les créatures vivantes que les forces vives de la nature.  Telle fut l’ossature de l’animisme, l’ossature de la première religion.
« L’activité religieuse consistait à chercher à plaire à ces esprits et àéviter qu’ils se mettent en colère, afin qu’ils servent les besoins humains ». C’est ainsi que Spong imagine la naissance de Dieu, cette chose qui est dit-il, en dehors et au-dessus de notre vie, pourvue d’un pouvoir surnaturel. Telle est l’apparition du théisme.
L’animisme évolue, passe du polythéisme au dieu unique  qui dirige le monde en tant que dieu tribal, surveillant et protégeant la tribu qui le vénérait. Plus tard ce dieu devient un Dieu universel qui règne sur l’Univers. Le monothéisme est né.

Caractéristiques du dieu théiste

 Ce Dieu surnaturel, superpuissant, situé hors de notre monde, capable d’intervenir pour bénir ou pour punir peut répondre aux prières, et venir en aide aux humains. L’angoisse humaine peut alors être surmontée. Les systèmes religieux se mettent en place pour dire comment faire pour gagne la faveur divine, mobiliser son assistance par un culte approprié et un comportement moral adéquat. Dans la tradition des Hébreux ces instructions furent inscrites dans les Tables de la loi.

La révélation divine

 La sécurité est atteinte de façon définitive quand le système religieux proclame posséder la vérité ultime, la révélation divine. Soit cette vérité est révélée à un être humain comme un prophète, soit elle est dictée par écrit d’une façon occulte, hermétique (Le coran ?).  Détenir cette révélation, c’est obtenir la délivrance de l’angoisse. Les systèmes religieux ont pour seule raison d’être la recherche de la sécurité, non de la vérité. Ils interdisent de mettre en doute la doctrine de leur système.

Pour les premiers chrétiens, la vie de Jésus concrétisait le théisme

 Les chrétiens du premier siècle crurent qu’ils avaient rencontré Dieu dans la vie de Jésus. Il concrétisait pour eux le théisme. L’histoire de Jésus est donc représentée comme le compte rendu d’un Dieu théiste, venant à notre secours en entrant dans notre monde en venant de l’au-delà. Il fallait un terrain d’atterrissage pour recevoir cette déité. Ce fut défini par la naissance virginale.  Pour eux Jésus  pouvait accomplir tout ce que Dieu pouvait faire, puisque il était Dieu sous une forme humaine. Il pouvait calmer les tempêtes, marcher sur l’eau, guérir les malades, multiplier la nourriture, ressusciter les morts. Ce Dieu qu’ils avaient rencontré dans la personne de Jésus les béniraient, réaliserait leurs prières, les accueillerait dans la vie éternelle au moment de leur mort. L’angoisse humaine avait totalement disparue.

Permanence actuelle du théisme

 Les conceptions traditionnelles du christianisme ont gardé une compréhension théiste de Dieu, compréhension finalement humaine. Le théisme n’est pas du tout ce que Dieu est puisqu’il est une définition créée par l’homme.

La vision que nous devrions avoir de Jésus.

 Si nous voulons vivre en chrétiens du XXI e siècle, le théisme moribond  ne peut donner une signification crédible à l’expérience que firent les disciples à la rencontre de Jésus. Il nous faut donc séparer l’homme Jésus historique de son mythe. Il nous faut séparer le Dieu appréhendé par le théisme  de l’expérience  de Dieu vécue par Jésus. Le regard que nous pouvons porter  sur l’expérience qu’ont  vécue les  disciples avec Jésus est essentiel. Spong l’exprime de la façon suivante : « Qu’est-ce donc ce que les disciples avaient éprouvé, quel a été l’expérience qu’ils tentèrent d’exprimer quand ils déclarèrent de mille façons différentes, que dans ce Jésus humain, le Dieu théiste leur avait révélé ».  

L’effet Spong

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Notre Cercle Évangile et liberté en Isère a été invité par un groupe catholique en recherche, àétudier le livre de John Shelby Spong, « Jésus pour le 21e siècle ». Le déclic a été la lecture d’un livre de Dietrich Bonhoeffer, ce pasteur assassiné par les nazis. Il avait découvert en prison le challenge imposéà l’Église d’annoncer Jésus Christ à des non-religieux qui ont appris à se passer de la religion et de Dieu. Spong relève ce défi dans ce livre.  

Nous étions donc un peu plus d’une trentaine à découvrir que cette démarche mettait en question bien des certitudes sur le bien-fondé de la façon dont les Églises ont interprétéà leur façon et occulté le message de Jésus, le rendant inaudible aux non-religieux.

Trois intervenants ont présenté leur lecture des trois parties de l’ouvrage.

D’après Serge, Spong est convaincu que nous vivons la fin du christianisme parce qu’il fonctionne sur des bases totalement dépassées, pour lequel par exemple Dieu est défini comme un être surnaturel qui vit dans les cieux, intervient périodiquement dans l’histoire humaine, et répond s’il le veut à nos demandes. Un Dieu qu’il qualifie de « théiste ».

Il est alors naturel que Spong ne croit pas aux miracles opérés par Jésus. Ces récits faisant appel au surnaturel, sont dit-il, essentiellement des paraboles, des images souvent inspirées par des textes de l’Ancien Testament, signifiant que Jésus est bien le messie annoncé dans les Écritures. Et l’auteur démontre à ceux qui se demandent s’il est possible d’avoir encore la foi sans croire à la lettre de ces textes bibliques, que c’est parfaitement possible.

Avec François qui rapporte sur la deuxième partie, nous découvrons notre complète ignorance de la culture religieuse juive dont étaient imprégnés les auteurs des Évangiles, culture qui inspire et nourrit leurs récits des actes et propos de Jésus. Nos propres interprétations et compréhensions marqués par notre propre culture religieuse, nous empêche d’accéder à l’expérience spirituelle vécue par les premiers témoins et de la transmettre.

Paulétait chargé de présenter la troisième partie du livre. Il dévoile la vision qu’a Spong de la vie de Jésus. L’auteur poursuit son dessein de clairement faire découvrir la personne de Jésus à des non religieux en insistant sur son apport au degré d’humanité de l’homme. L’impression qui s’en est dégagée était que Spong était en réaction assez vive contre les effets d’une vision propre aux U.S.A., celle d’un christianisme justifiant le racisme, et bien d’autres préjugés, et professant le créationnisme.  

La conclusion du livre s’exprime par ces mots : « Quand Jésus sera libéré de la prison du concept religieux, une renaissance et une réformation deviendront possibles. L’homme Jésus apparaît à l’horizon ».

Pour donner  une suite concrète à cette réflexion, une séance sera consacrée à un partage entre catholiques et protestants,  de nos réactions, des réponses concrètes à apporter pour annoncer Jésus aux non religieux de notre génération.

 

13 novembre 2016

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La France commémore le massacre du 13 novembre 2015. L’État est mis au défi de dire ce qui rassemble, ce qui fonde « l’être ensemble », ce qui peut faire l’union d’un peuple  en guerre contre un ennemi invisible et imprévisible. Les hommes politiques dévoilent les plaques commémoratives sur lesquelles sont inscrits les noms des victimes. Derrière un micro, le Président de la République pérore face aux caméras sans avoir grand-chose  dire. Il n’incarne plus rien ! Si les victimes de Charlie Hebdo, du Bataclan, de Bruxelles, des terrasses, de Bruxelles, de Nice étaient mortes pour la France, il pourrait faire un discours guerrier et vengeur, et le clore  par une marseillaise triomphale.  Mais voici que le sang impur qui « abreuve nos sillons » n’est pas celui des barbares. C’est le nôtre. S’il est impur, c’est  que nous ne savons pas dire comment  nous sommes un, et au nom de quoi nous sommes ensemble, quelque soient nos différences culturelles, raciales, religieuses ou non.

La rage politicienne est le seul moteur des vautours soucieux de glaner des voix pour leur seul  projet personnel. Ils devaient incarner un recours sublimant l’idéal de tous. En fait  beaucoup pensent qu’ils n’ont aucun souci du bien général. Pas même celui des générations futures. Le court terme est leur seul enjeu, leur réélection.

Une psychanalyste participant à l’émission « C dans l’air » du 11 novembre déplorait l’absence d’un geste inspirant le sacré. Elle craignait que la réouverture du Bataclan avec un spectacle ne soit une façon de tourner la page pour oublier le drame du massacre. En fait, cette réouverture du Bataclan  était  indispensable pour un bon nombre de victimes. Cette psychanalyste est-elle freudienne ? Lacanienne ? Je ne sais. L’étrange est bien qu’une enfant de la psychanalyse athée invoque le secours de la religion- fut-ce une religion athée ! Il ne resterait donc plus qu’à invoquer le sacré pour dire ce qui pourrait unir un peuple en danger de dislocation, de rupture, de fracture avec son être. Les hommes politiques n’ont pas les mots qu’il faudrait ! Et l’extrême droite, enthousiaste du succès d’un psychopathe narcissique  élu par le pays démocrate le plus puissant du monde, ouvre peut être la voie à l’avènement d’une dictature populiste.

Ainsi, après avoir pris ses distances avec l’Église, la modernité  a sécularisé les valeurs héritées de la religion, qu’il s’agisse de la famille, du travail, de la solidarité. Puis  la poste modernité a dénigré ces valeurs car elle a perdu ses illusions. Le Code civil de 1804 est mis en pièce. Le travail qui était une vocation a transformé l’homme en marchandise.  L’individualisme égoïste  se rit du sens du devoir des républicains d’antan. Le progrès ne devait-il pas apporter le bonheur de l’humanité ?           

Les chrétiens sont alors  indirectement sollicités pour ramener un peu de sacré. Trouveront ils les mots qui manquent pour dire les véritables raisons du vivre ensemble ? Faire simplement la charité et dire « aimons nous les uns les autres » et le vivre au sein de nos communautés, c’est bien mais insuffisant. Il faut toucher le peuple hors des églises, au besoin avec un langage a religieux comme disait Bonhoeffer. La spiritualité contemporaine est essentiellement immanente. Sa source est dans l’homme. Les problématiques écologiques et cosmologiques concernent aussi la théologie si elle déborde le champ d’une spiritualité individuelle, au risque de s’impliquer socialement.

H.L.

Je laisse Dieu être Dieu en moi

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Entrer en méditation
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Par la pasteureCarolina Costade l’Église protestante de Genève

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Arrêtons-nous un moment et...
Mettons-nous à l’écoute de notre être profond.
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Je fais le vide en moi,
Je me débarrasse de tout ce qui m’encombre,
Le superflu, les habitudes, les soucis, le quotidien.
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Je respire tranquillement,
Je sens le souffle de vie qui entre par mes narines,
J’expire sans effort, sereinement.
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Je me laisse traverser par le souffle de Dieu.
Il me grandit de l’intérieur,
Il me rend pleinement présent ici et maintenant.
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Je me sens vivant,
En harmonie avec mon être profond,
Relié au ciel et à la terre.
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Je laisse Dieu être Dieu en moi,
Il me nourrit par son Esprit,
Il me remplit de son amour.
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Mon être entier est ouvert,
Disponible,
A l’écoute pour recevoir sa Parole.
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Amen.
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Publié sur le site Le LAB

Commentaire :
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Cette profession de foi est épatante. Je trouve ce texte vraiment très très bien. J'y ai retrouvé« le lâcher prise » de Martin Luther, la compréhension qu'ont Paul Tillich et John Shelby Spong de Dieu.
Hugues Lehnebach

La révolution existentielle de Luther

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Martin Luther était un être timoré, angoissé, taraudé par cette question : à sa mort, que deviendrait son âme ? A la lecture de l’épitre aux Romains de l’apôtre Paul, il a une révélation : le salut ne se trouve pas dans des lois, dans la contrition, la mortification, ou les œuvres. Il est vrai que l’homme est constitutivement pécheur. Mais Dieu seul est en mesure de racheter les péchés des hommes, de nouer avec eux une nouvelle alliance. Il suffit à donc à l’homme  de confesser son impuissance pour obtenir son salut en se laissant aller à la bienveillance de Dieu[1]. Le salut est acquis par la foi comme le dit l’apôtre Paul. « Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ » ( Ro. 5, 1). La justification par la foi est signe de la liberté.

Dieu est accessible à la conscience individuelle par la foi, l’amour, et dans une certaine mesure la raison.

L’expérience de Martin Luther est celle du petit enfant abandonné, perdu, et qui dans le plus grand désarroi voit une main tendue vers lui pour le secourir, pour le mettre en sécurité. S’il sent qu’il peut faire confiance, s’il a la foi, il ne doute plus. Il a fait confiance à cette autorité bienveillante et reprend confiance en lui. Cyrulnik raconte comment cette main tendue qu’il appelle « le tuteur de résilience » permet à la victime de reprendre confiance en elle-même pour vivre, ressusciter et devenir la personne qu’elle était appelée àêtre pour peu qu’elle ait la foi. Et, libéré, elle va de l’avant.


Convoqué pour abjurer devant la diète de Worms du 16 au 18 avril 1521, Martin Luther fait la déclaration suivante : « A moins d'être convaincu par le témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes, car je ne crois ni à l'infaillibilité du pape ni à celle des conciles, puisqu'il est établi qu'ils se sont souvent trompés et contredits, je suis lié par les textes bibliques que j'ai cités. Tant que ma conscience est captive des paroles de Dieu, je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n'est ni sûr, ni salutaire d'agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen ».

La conscience est pour le réformateur le lieu principal de la décision chez l'homme. Cette conscience ne trompe pas. Elle se place au-dessus de tous les systèmes d'autorité, même les plus élevés comme celui de la papauté ou du roi. Et pour finir, que serait un homme qui agirait contre sa conscience ?

Martin Luther a détruit l’édifice de la religion, du ritualisme, de sa domination sur l’individu. Désormais il est libre.     
Il s’appelait Luder. Il va désormais changer son nom. Il passe à Luther, qui signifie en grec « homme libre ». Il était soumis au « culte de la performance »[2] pour faire son salut par lui-même. Il lâche prise et se laisse saisir par la bonté divine ; il dira après son illumination :  « Alors le me sentis renaître et entrer au paradis même, par des portes grandes ouvertes. Dès lors, l’Écriture tout entière prit à mes yeux un aspect nouveau »[3].

H. L.  



[1] Mark Alizart , Pop théologie, PUF, 2015

[2] Alain Ehrenberg, La culte de la performance, Pluriel, 2013

[3] Annick Sibué, Luther et la Réforme protestante, Olivétan, 2016

Dépasser la justification par la foi

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Pourquoi Paul a t il déclaré que le juste vivra par la foi ?

Ernest Winstein [1] en donne la raison. Paul, Juif instruit des Écritures, est convaincu que Jésus est bien le messie qui reviendra bientôt pour libérer Israël et que les non-juifs vont être perdus à jamais. En effet Esaïe l’avait dit [2] : seuls ceux qui confessent leur foi dans le Dieu d’Israël seront sauvés. Paul est inquiet pour les païens incirconcis qui se sont donné au Christ. Ils ignorent tout de la loi à laquelle doit obéir tout bon Juif. Vont-ils être perdus à jamais au retour du Christ ? Non, leur déclare-t-il, car le juste vivra par la foi.

Pourquoi Martin Luther a-t-il repris cette affirmation à son compte ?

Quinze siècles plus tard Martin Luther est dans un tout autre contexte. L’image du purgatoire et de l’enfer était source d’angoisse pour ses contemporains et pour lui-même. L’Église catholique assurait le salut des âmes à ceux qui gagneraient leurs mérites en achetant par exemple des indulgences censées diminuer la durée de vie au purgatoire. Avec Martin Luther le salut acquis gratuitement par la foi était  le chemin offert de leur libération.

Aujourd’hui la question du salut importe peu.

Cinq siècles après Martin Luther, la quête du salut, qui le préoccupait au plus haut point, n’est plus la nôtre. Qui croit encore à l’enfer ? Plus grand monde ! De même, personne ne pense plus que le peuple d’Israël soit la voie du salut pour le monde entier. Ce qui préoccupe l’homme moderne, héritier des Lumières, c’est le sens à donner à sa vie. Nous avions cru au progrès. Nous avions foi dans la croissance infinie. Mais voici qu’une croissance infinie dans un monde fini conduit à la catastrophe planétaire. Ne resterait-il que la réalité de l’absurde ?

L’héritage actuel de Paul et de Martin Luther.

L’apôtre Paul nous a appris qu’être en vis à vis de Dieu, croire en Dieu, donne à chacun un statut, la conscience d’avoir une place unique dans le monde. Martin Luther nous a permis de prendre conscience de notre autonomie, d’exister en être responsable et libre, et non plus comme un petit pépin qui n’existerait qu’en tant que partie infinitésimale intégrée dans le tout d’une grappe de raisin. Nous ne croyons pas davantage que le salut nous est accordé mécaniquement sans que nous soyons concernés.  « Le salut ne tombe pas du ciel [3]».

Où nous conduit donc notre foi ?

La foi qui nous met en route c’est la conviction que du plus profond de notre être, Dieu est là, nous redit sans cesse que notre vie ne se limite pas à notre vie physique et qu’elle a un prix inestimable. Il suffit donc d’avoir « le courage d’être » avec cette force que Dieu met en nous, pour assumer notre part de responsabilité vis-à-vis des autres et vis-à-vis du monde qui vient, en synergie, en harmonie autant que possible avec la volonté divine qui nous veut libre et heureux. Alors la plus petite des expériences de notre existence est reprise, intégrée dans une autre réalité qui participe à une évolution continue en harmonie avec Dieu et l’univers, au-delà de notre mort.

H.L.



[1] Ernest Winstein, UEPAL, Président de l'Union protestante libérale, Strasbourg.

[2]Ésaïe 45, 22 : « Tournez-vous vers moi et soyez sauvés, vous tous les confins de la terre, car c’est moi qui suis Dieu ».

[3] Ernest Winstein

Pour information

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Histoire de la justification

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Sources de la justification par la foi.

C’est un texte d’Ésaïe (45, 22) que Paul reprend dans l’épître aux Galates (3, 11). Le prophète mettait dans la bouche de Dieu les paroles suivantes : « Tournez-vous vers moi et soyez sauvés ». Paul reprend de la façon suivante : « Le juste vivra par la foi ».

Les motifs de l’apôtre Paul

N’oublions pas que Paul est persuadé que le retour du Christ est tout proche. Quels seront les élus sauvés à ses côtés ? Les païens que Paul avait convertis devaient-ils se faire circoncire et se soumettre aux lois de Moïse pour être sauvés ? C’est bien ce que pensait Jacques qui dirigeait l’Église de Jérusalem. Non leur dit Paul, « Le juste vivra par la foi »

Les questions posées à Martin Luther

Quinze siècles plus tard, Martin Luther est dans un tout autre contexte. Il n’attend pas la venue imminente du royaume. Par contre la crainte du purgatoire et de l’enfer était très présente dans son esprit. Il vivait dans l’angoisse. L’Église catholique administrait le salut de l’âme par les mérites, voire même par la vente des indulgences. Cela n’avait, pensait-il, aucun effet. A la lecture des épîtres aux Romains et aux Galates, Martin Luther explose de joie : Le salut est offert gratuitement par Dieu lui-même à quiconque croit.

Cinq siècles plus tard

La crainte de l’enfer ou du purgatoire n’est plus la nôtre. La foi religieuse du 18e et du 19e siècle influencée par le piétisme et le méthodisme était encore fondée sur la culpabilité et le besoin de rédemption. Le salut par la foi répondait à cette demande. Le fidèle attendait tout d’un Dieu qui intervenait d’en haut pour pardonner.
Cela n’est plus le cas aujourd’hui. Aujourd’hui la foi est un engagement personnel. Elle émerge des profondeurs du sujet. Aujourd’hui, devenus autonomes et responsables, nous sommes en souffrance ; nous ne sommes plus hantés par le purgatoire ou l’enfer, mais  hantés par la mort et par l’absurde. Nous sommes en quête du sens de notre engagement ici-bas, dès maintenant. Non pas en vue de notre quiétude dans l’au-delà.

Le salut ici et maintenant

Le salut ne se situe pas dans l’avenir, mais dans le présent de la foi, dans l’instant qu’elle vit. Il suffit de lâcher prise et de s’en remettre à Dieu. Il arrive comme un événement surprenant. Le salut est effectif aujourd’hui. Il entre dans notre maison comme Jésus entrant chez Zachée. C’est ici et maintenant dans mon existence actuelle que je ressuscite. C’est aujourd’hui même que Jésus me donne la paix, la joie et le bonheur.
Certes ! Je reste aux prises à mes problèmes. Il me faut donc me tourner sans cesse vers Dieu pour recevoir à nouveau ce salut.
Cela engendre une vie chrétienne croyante qui fait place à la prière, au culte, aux sacrements. C’est dans ces moments à part que l’on vit avec le Christ que le salut entre chez nous. Pour reprendre ici l’exemple de l’Exode, on peut rapprocher le salut à l’image de la manne que Dieu donne à manger dans le désert au peuple hébreu. Il est impossible de stocker la manne. Si on la met en réserve, elle devient immangeable. Dieu la donne gratuitement, jour après jour. Le croyant est un mendiant disait Martin Luther.

Le salut conjugué au passé

C’est le temps mis en valeur par les Réformés pour lesquels le salut est un problème réglé, une préoccupation dépassée. Dès sa naissance, le croyant l’a reçu. Dieu ne reprend pas le salut qu’il a accordé de tout temps. Il n’y a donc pas à se tourmenter. C’est offenser de le prier pour un salut qu’il nous affirme avoir accompli » disait César Malan. Dieu a fait le nécessaire et c’est chose irréversible[1].

En conséquence, le fidèle s’engage dans l’ici-bas. Le chrétien, dit Jean Calvin, est comme le soldat  préoccupé de sa mission présente.

Le réformé classique est un militant de Dieu, un combattant pour sa justice et son Royaume, sans aucune anxiété pour son sort, sans angoisse pour sa personne. Il n’agit pas, ne travaille pas, ne lutte pas pour obtenir son salut, mais parce qu’il l’a obtenu. Le Nouveau Testament le compare à une nouvelle création, à une genèse qui rend possible une histoire. Albert Schweitzer affirmait clairement que le cœur de la vie chrétienne n’est pas dans ce qui s’est passé autrefois, mais dans ce qui se passe aujourd’hui. Notre tâche est de se mettre au service de Dieu pour que son grand projet avance. Ne pensons pas à notre destinée personnelle, mais à celle du monde. Œuvrons pour le Royaume par fidélitéà la prédication du Christ.

H.L.


[1] Cité par le théologien Andre Gounelle.

De l’hétéronomie à l’autonomie

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De l’hétéronomie à l’autonomie

Dans l’antiquité, dans toutes les cultures du passé, jusqu’au 18e siècle et encore aujourd’hui pour la majorité des chrétiens, nous vivons persuadés que notre monde dépend totalement d’un autre monde semblable au nôtre. L’autre monde, explique clairement Roger Lenaers[1],  « est dirigé par un Souverain divin, omniscient, et tout puissant, entouré d’une cour céleste de saints et d’anges. Ce Seigneur édicte lois et prescriptions, … Il menace, récompense, châtie et, à l’occasion, pardonne. »   
Nous serions donc dans un monde à trois étages. Dieu tout en haut, au ciel bien sûr, et sous nos pieds, profondément sous terre se trouveraient le diable, les démons. C’est bien ce qu’affirme le Symbole dit des apôtres. Dont voici un extrait : «  …Je crois en Jésus-Christ…il a été crucifié, il est mort, il a été enseveli, il est descendu aux enfers ; le troisième jour il est ressuscité des morts, il est monté au ciel ; il siège à la droite de Dieu, le Père tout-puissant ; il viendra de là pour juger les vivants et les morts. »

Cet univers mental prémoderne considère que l’homme est totalement dépendant de cet autre monde que l’on dit « hétéronome ». Ce ne sera qu’au seizième siècle que cette pensée hétéronome sera mise en question.

Dans cet univers hétéronome, l’homme n’a aucune autonomie. Il fait partie du tout qui l’enserre, dont il fait totalement partie. Son rôle est déterminé dès sa naissance par la place qui lui a été réservée de toute éternité. Qu’un père rejette son fils, ce dernier n’a plus le droit de vivre puisqu’il n’a plus sa place ici-bas. Il se laissera mourir. C’est la loi du holisme.

Martin Luther prend conscience qu’il est aimé par Dieu et que justifié par la foi, le juste peut vivre libre des contraintes imposées par l’Église désormais démise de l’autorité dont elle se disait investie. Elle n’est plus chargée d’appliquer les lois de l’hétéronomie. Martin Luther découvre son autonomie, sa responsabilité, sa liberté. Un siècle plus tard, René Descartes démontre que l’homme peut mettre au jour les lois qui gouvernent le monde. Ce ne sera plus l’Église qui distinguera le vrai du faux. Nous sommes sortis du holisme. Et pourtant les Églises en utilisent toujours la langue. Et les Églises se vident, car les nouvelles générations ne comprennent plus ce langage. Pourtant leur soif de la rencontre avec Dieu tel qu’annoncée par Jésus Christ reste vive.

H.L.

[1] Roger Lenaers , Un autre christianisme est possible, Golias 2011

Épître aux Romains 5, 12-15.

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Épître aux Romains 5, 12-15.

Extrait d’une correspondance de Xavier Charpe, autrefois frère bénédictin, ami de notre cercle « Évangile et liberté en Isère ». Nous bénéficions de temps à autre de ses recherches, témoin ce petit commentaire qui fait le point sur le péché originel, dénonce les errements du fondamentalisme, dévoile la richesse de la démythologisation, et conclut sur l’erreur que nous pourrions faire en pensant qu’Adam et Ève sont nos ancêtres.  

« Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et ainsi la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché… Car si par un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a régné, à plus forte raison, par le seul Jésus Christ régneront-ils dans la vie ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice. Bref, comme par la faute d’un seul, ce fut pour tous les hommes la condamnation, ainsi par l’œuvre de justice d’un seul, c’est pour tous les hommes la justification qui donne la vie » ( Ro. 5, 12 et 17-19).

« Par la désobéissance d’un seul, tous ont été constitués pécheurs »(19). Vous reconnaissez la doctrine du « péché originel » que nous avons tous apprise et que Saint Augustin a particulièrement mise en valeur, quitte à la rigidifier, marquant ensuite toute la théologie occidentale.

Or présentée ainsi, de manière chosiste, historicisante, bref « fondamentaliste », cette histoire de « péché originel » ne passe plus, et cela pour deux raisons : d’abord par ce que sous cette forme elle est incompréhensible ; comment la faute supposée d’Adam, dans laquelle nous ne sommes pour rien pourrait-elle nous être transmise et retomber sur nos têtes ? On retrouve cela dans la pensée juive selon laquelle ce sont les fautes des parents qui retombent sur les enfants : « Maître, qui a péché, lui ou ses parents» pour qu’il soit aveugle de naissance ? « Ni lui ni ses parents », répond Jésus. Nous serions en pleine pensée magique ; ensuite, et cela coupe court à toute discussion, parce que nous savons bien que l’idée qu’il y aurait eu à l’origine de l’humanité un seul couple, Adam et Ève, ne tient plus la route. L’émergence de l’humanité s’est développée de manière bien plus complexe à partir de phylums divers. L’idée d’un seul couple originaire, historiquement constitué d’Adam et d’Ève, tout cela s’est effondré. Il nous faut comprendre autrement ce que nous dit le texte de la genèse et ce que nous dit l’apôtre Paul, dans les deux cas un message extrêmement profond.

Xavier dit avoir eu beaucoup de chances. En particulier parce qu’il a bénéficié quand il était lycéen de la formation de l’abbé R. Amiel, rompu à l’apport de Rudolf Bultmann.

« Bref, il (l’abbé) nous avait appris comment lire les « Mythes » du début du livre de la Genèse, à savoir comme des mythes reçus de la Mésopotamie, mais ré-écrits, de manière remarquable. Il y avait deux récits de la création l’un de tradition yahviste, l’autre de tradition sacerdotale[1]. Bref, il ne fallait pas prendre ces récits comme des récits historiques, mais comme des « mythes »à savoir des récits qui « donnent à penser », selon l’expression de Paul Ricoeur ; ils sont porteurs d’un sens extrêmement profond et cherchent à dire, sous forme d’un récit métaphorique, quelque chose de la réalité que nous vivons, en projetant ce récit à l’origine, ou parfois pour d’autres à la fin des temps. Dans l’un et l’autre cas, le récit nous parle en profondeur de la réalité présente.

Ainsi du chapitre 3 de la Genèse, avec l’arbre au milieu du Jardin (du paradis) dont il était interdit de manger du fruit. Vous pouvez manger de tout sauf de ce fruit-là. Et puis le serpent, Satan, le tentateur, qui s’avance en rampant et qui tente Ève et Adam en leur disant que l’interdit est une foutaise et qu’à manger du fruit « ils seront comme des dieux ». Mais le quatrième mythe est tout aussi important, celui du meurtre Abel par son frère Caïn, le meurtre originel et principiel du frère, à l’« arche » de tous les meurtres. Comment dire sinon par le mythe cette violence mortifère qui sévit de tout temps et en chacun de nous et qui sévit partout dans le monde : en Syrie et en Irak, avec Daech et Hassad, au Sahel, au Yémen, au Soudan et ne parlons pas de cette histoire ininterrompue de tous les meurtres, le massacre par Guise de toutes ces familles protestantes rassemblées pour prier à Massy, les « Vêpres lyonnaises » et la Saint Barthélemy, la guerre d’Algérie, des deux côtés, et pire que tous les régimes bolcheviques et nazis. Nous n’avons aucune explication sur cette question du mal, de la violence et du meurtre, sinon de dire cela par le Mythe et d’ajouter, que Jésus, notre Seigneur, n’a jamais voulu jouer de cette violence et qu’il en est mort sur la croix.

C’est donc un contresens de transformer le « mythe » en une histoire historicisante, de prendre la forme du récit et de perdre de vue la seule chose qui compte, sa visée. Il faut garder le « mythe » et son message, mais il faut démythologiser la forme du discours. Notre aumônier était au fait de certaines fouilles archéologiques et avait lu Teilhard ; il savait qu’à l’origine de l’humanité il y avait eu un surgissement complexe et selon toute probabilité plusieurs phylums, ce qu’on appelait le polygénisme. Mais les livres de Chardin étaient interdits et le pape Pie XII avait publié une lettre encyclique pour condamner les thèses polygénistes et tenter de nous dire que le monogénisme était de foi. Cette encyclique nous avait profondément heurtés dans les milieux théologiques que je fréquentais ; on déconsidérait l’Église et surtout la foi chrétienne à tenir de telles positions. Nos frères réformés et luthériens haussaient les épaules et nous regardaient attristés et compatissants d’avoir une hiérarchie aussi bornée. Les incroyants nous demandaient si l’affaire Galilée, et tant d’autres ne nous suffisaient pas pour en remettre une couche dans l’obscurantisme. J’entends toujours notre aumônier nous dire un jour « ce n’est pas parce que vous êtes chrétiens qu’il faut être des cons !». Excusez la verdeur du propos. Vous ne m’entendrez jamais dire « ne cherchez pas à comprendre », « Dieu vous a créés dénués de cervelle », « il ne fait pas appel à votre intelligence, croyez ce qu’on vous dit, même si c’est complètement insensé ». Là-dessus la fréquentation de Thomas d’Aquin n’a rien arrangé : le devoir d’intelligence de la foi, l’« intellectus fidei », « fides quaerens intellectum ». Il m’arrive de piquer des colères quand j’entends dire, « croyez même si vous ne comprenez pas et si l’Église vous demande de croire des choses absurdes ». On ne saurait donner en exemple les disciples qui ne comprennent rien de l’essentiel du message que Jésus s’efforce de leur transmettre. Les évangiles ne les louent pas de leur inintelligence ; il les en blâme et nous invite à ne pas les prendre comme modèle sur ce point. Christ est « Lumière » ; il délivre nos intelligences.

Mais les choses n’en sont pas restées là. Le cardinal Ottaviani et certains de ses collaborateurs ont cherchéà convaincre le pape Jean XXIII qu’il fallait réunir un concile, nécessaire pour poursuivre le concile Vatican I , interrompu en raison de la guerre de 1870. Et il était urgent de condamner des fausses doctrines et d’affirmer leur contraire comme articles de foi. Et notamment le monogénisme pour couper court aux doctrines perverses de ceux qui contestaient l’unicité historique du couple originel. Quand les pères conciliaires sont arrivés pour le concile, tout était prêt et bien ficelé. Les pères conciliaires n’avaient qu’à prendre connaissance des textes proposés et pour l’essentiel les approuver tels quels. Exactement comme cela s’était produit pour le concile Vatican I : un concile vite expédié. Vous savez que les choses ne se sont pas déroulées comme l’avait prévu le cardinal Ottaviani et Mgr Parente… C’est dans ce contexte que deux de mes professeurs de théologie, l’un exégète, l’autre bon historien et bon connaisseur du Concile de Trente, m’ont suggéré de faire porter ma thèse de théologie sur la première session du concile de Trente, précisément sur cette question du péché originel. A lire superficiellement et avec simplisme les canons du concile, on pouvait croire que le dogme du monogénisme[2] y était défini. Mais au juste sur quoi avaient porté les débats, quelles étaient les erreurs que les Pères conciliaires avaient voulu condamner, notamment contre Martin Luther ? Les actes du concile ont étéédités par de savants bénédictins allemands, ce qui facilite la lecture des pièces. J’ai donc tout épluché, les variantes préparatoires, les comptes rendus par les secrétaires du concile de toutes les interventions des pères conciliaires. Il n’y a pas eu un mot de discussion pour savoir comment comprendre cette « histoire » d’Adam et d’Ève. Tout le monde prenait cette histoire pour argent comptant, comme un fait historique. Cela faisait partie des évidences admises par tous, par Augustin, par Luther comme par les pères du concile ; c’est une évidence que personne ne discutait : il y a quelque six mille ans, Dieu avait créé un premier homme Adam, puis Dieu en avait extrait la femme Ève. . Et ils avaient péché. Sur cette évidence admise comme allant de soi, pas un mot, pas le moindre débat lors du concile. Toute la discussion a porté sur les conséquences de ce péché, sur la concupiscence et sur les séquelles de ce péché. Alors là, on ferraille dur ; on se bat contre Luther à qui on reproche un pessimisme exagéré, même si après tout son pessimisme n’est guère plus exagéré que celui de Saint Augustin. Tout le monde prend le texte de l’épître aux Romains comme argent comptant, dans une lecture historicisante, d’autant plus facilement que la traduction de la Vulgate durcit le texte, et bien entendu Saint Augustin tout le premier.

Il nous faut donc revenir au texte de Paul et en faire une autre lecture. Certes il est persuadé qu’Adam a bien existé historiquement, mais il en fait un archétype, une sorte de prototype, ou mieux un « antitype » qui annonce ce que sera Jésus. Il est à la fois le contretype de ce que sera Jésus Christ, et en même temps il en est comme par contraste l’annonciateur. Adam devient le type de ce qu’est le péché, le refus de se constituer en fils de Dieu, dans la gratitude, en se reconnaissant comme objet du vouloir bon de Dieu. Jésus va se comporter à l’inverse et c’est très net dans le récit des trois tentations de Jésus dans le désert, quand le diable veut à son tour l’induire à tenter Dieu et à s’affranchir de lui. Jésus maintient sa confiance absolue en Dieu qui l’a envoyé en mission, pour nous sauver. Paul oppose donc deux types, le type d’Adam qui s’engage dans un chemin qui est celui du péché et qui conduit à la mort ; et Adam en cela nous interpelle sur la part de nous-mêmes qui s’engage dans cette voie ou s’y laisse engager. Mais l’autre terme de l’opposition, c’est le type de Jésus qui s’engage sur l’autre chemin, celui de la justice de Dieu, ce chemin qui conduit à la vie. Ce type de « relecture » d’un texte biblique est d’ailleurs caractéristique d’une manière de procéder des rabbins, et Paul est un Rabbin, fut-il converti à la « Voie du Christ ».

L’important dans cette dialectique développée par l’Apôtre, c’est que tout l’accent porte sur le type- prototype, qu’est Christ. « Là où le péché s’est répandu, la grâce a surabondé ». Ce qui compte de manière absolue, c’est la bonté infinie de Dieu en Jésus Christ, ce qui compte c’est la victoire du Christ sur le mal et sur le péché, ce qui compte c’est l’invitation que nous adresse Christ de nous engager sur son chemin, dans son accompagnement et en sachant que c’est lui qui nous accompagne.

Notre texte doit être relu dans le contexte du chapitre 8 : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Lui qui n’a pas épargné son Fils mais nous l’a donné et transmis, pour nous tous. Comment avec son Fils ne nous donnera-t-il pas tout ? Qui accusera les élus de Dieu ? Dieu justifie, qui condamnera ? Jésus Christ est mort, bien plus il est ressuscité, lui qui est à la droite de Dieu et qui intercède pour nous. Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La détresse, l’angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive ? … Oui, j’en est l’assurance ni la mort ni la vie, ni es anges ni les dominations, ni le présent ni l’avenir, ni les puissances, , ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Sauveur ». Ce n’est pas Adam qui compte, c’est Christ ; ce n’est pas le péché qui doit occuper tout le champ, c’est la grâce de Dieu en Jésus Christ. Et le « Vainqueur » c’est le Christ qui nous invite dans le sillage de sa victoire. « Christus Victor !»

Bien à vous amicalement.

Xavier

P.S. : J’ai passé sous silence les difficultés de traduction, au verset 12, pour ne pas trop compliquer les choses. Vous trouverez sur ce sujet une notre excellente dans l’édition de la TOB. De quoi régaler les hellénises parmi vous.


[1] Les recherches ont permis de découvrir qu‘il y avait plusieurs sources des récits bibliques. Après la déportation du peuple hébreu à Babylone, les prêtres permirent au peuple de tenir bon en mirent au point une refonte religieuse. Ils vont réécrire l’histoire et sont à l’origine de la tradition dite sacerdotale. Une autre tradition, dite yahviste,  écrira une autre partie des récits bibliques en désignant Dieu par YAHWE.

[2] Le polygénisme est une doctrine  opposée au monogénisme. Selon cette doctrine l’espèce humaine est apparue à partir de plusieurs ancêtres différents et non à parti d’Adam et Ève.

La profession de foi de John Shelby Spong

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La profession de foi de John Shelby Spong

John Shelby Spong, ancien évêque anglican du diocèse de Newpark (U.S.A.) est un théologien libéral qui a repensé sa foi chrétienne en abandonnant le théisme. Voici sa profession de foi.

Le théisme est une croyance en un Dieu tout-puissant qui agirait du haut du ciel en sachant tout de vous. Les athées sont convaincus que tous les chrétiens sont théistes et qu’ils croient que ce Dieu-là existe vraiment. Les athées se trompent. Cela n’empêche pas ces chrétiens de faire la différence entre la croyance et la foi. Ils croient en Dieu comme Spong. Venez vérifier.

Le message chrétien que notre langage s'efforce d'exprimer est à mes yeux plus qu'une seule construction humaine. Dieu est plus, pour moi, que l'expression des valeurs humaines. Les credo portent, certes, la marque des temps anciens où ils ont été rédigés, ils me désignent néanmoins un Dieu qui dépasse largement leur vocabulaire obsolète. Et la Résurrection du Christ est une expérience que les récits humains ne peuvent décrire précisément, mais qui n'en est pas moins pour moi tout à fait réelle et d'une énorme puissance.

Je suis loin de sacraliser les formulations religieuses de mon Église. Je n'accorde aucune crédibilité aux décisions autoritaires d'un pape infaillible, à l'inerrance historique de la Bible ( que la bible est sans erreur ) ou à la vérité absolue des credo. Mais en même temps je ne puis nier la vérité qui se trouve derrière ces mots qui me parlent du Christ. Je ne puis négliger la foi qui vibre dans le vocabulaire obsolète (dépassé) des credo. Je ne puis oublier ce matin de Pâques qui fut un nouveau départ dans l'histoire des hommes.

Je rencontre Dieu dans les profondeurs de mon humanité, mais Dieu est toujours plus que mon humanité. Ma foi demeure dans le cadre de la tradition chrétienne ; je communie au Christ dont je crois qu'il était tellement ouvert à la Présence divine, qu'il a mystérieusement, mais réellement franchi la distance qui sépare la vie de la mort, le temps de l'éternité, et nous fait accéder à un nouveau niveau d'existence.

Je ne nie pas la valeur de la foi en Dieu du judaïsme, de l'islam, de l'hindouisme, du bouddhisme ou de tout autre. Je ne pense pas que Dieu n'approuve que ma seule religion et je ne n'identifie pas mon action ni celle de mon Église avec l'action de Dieu que je pense être ouverte à tous les peuples.

C'est aussi pourquoi je ne puis parler de« non-réalisme »[1] pour désigner ce qui est au contraire suprêmement réel dans ma vie. Je ne puis admettre que nos élaborations humaines ne soient que des élaborations humaines. Elles proviennent de ceux qui, à leur manière, se sont ouverts à la Présence vivante au cœur de l'univers, à l'Esprit du Christ qui s'incarne en nos cœurs, à l'expérience de la Résurrection qui fait surgir la vie des profondeurs de l'oppression et de l'injustice.

C'est pourquoi je me tiens aux côtés des peuples de couleur opprimés par les Blancs, aux côtés des femmes dominées dans une Église d'hommes, aux côtés des homosexuels qui sont mes frères et mes sœurs, créés comme moi à l'image de Dieu.

Je ne crois pas qu'aucune religion n’ait le monopole de la Vérité, mais je m'attache à la Vérité que chacune désigne par ses symboles. Je me sépare de ceux qui croient que leurs paroles sont la Parole de Dieu, mais je me sépare aussi de ceux qui n'arrivent pas à croire que ces paroles désignent bien au-delà d'eux-mêmes, le Dieu qui transcende nos vies.

Comme le disait Martin Luther : « Je ne puis autrement, que Dieu me soit en aide ».


[1]Le non-réalisme : Notre langage est incapable d’exprimer le surnaturel. Nous ne connaissons que « notre Dieu », un Dieu à notre idée qui n’a rien à voir avec la réalité de Dieu. Nous sommes donc non-réalistes. Cela signifie que nos formulations doctrinales et éthiques ne correspondent pas à des réalités « réelles » dans l’au-delà. Le risque du non-réalisme est de penser que tout n’est que fantasme, illusion. Ce que récuse John Shelby Spong.


Oser l’évangile

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Le débiteur impitoyable (Mt ; 18,23-35)

Les maîtres d’œuvre de la catastrophe de Goldman Sachs avaient dilapidé tout le bien qui leur avait été confié. Ils supplièrent de leur pardonner. Ainsi fut fait. « Pris de pitié, le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette » (Mt. 18, 27). Mais voici que sitôt libérés, à l’image du serviteur infidèle de l’évangile,  ils prirent à la gorge les malheureux qui leur devaient encore de l’argent. C’est ainsi que le peuple grec fut soumis à la disette. Dans la parabole le maître ayant appris le comportement odieux de son gestionnaire, le livra aux tortionnaires en attendant dit l’évangile, qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.
Dans notre  histoire il n’en est pas du tout de même. Les gérants indélicats ont  été autorisés par les rois de ce monde, a continuer de s’enrichir en spoliant les malheureux contraint de leur emprunter de l’argent pour survivre. C’est ce que mon récit rapporte. Cela interpelle la Réforme avec une interprétation actualisée de l’évangile..

 

Le protestantisme évolue

La Réforme lancée par Luther et Calvin a suscité un vaste mouvement qui a donné naissance au protestantisme. Cette religion ne se fige pas. Elle évolue. Elle  ne s’installe pas et se dit toujours à réformer.
Paul Keller faisait remarquer « qu’un changement fondamental est assez récemment  intervenu dans notre culture car nous sommes passés d’un âge dogmatique à un âge de l’interprétation. Nous avons pris conscience que la vérité et les savoirs ne sont pas intemporels, fixés dans des doctrines intangibles, dans des textes, des institutions. La vérité, comme la foi,  est sans cesse en mouvement. La vérité s’inscrit dans l’histoire. Elle est liée à des hommes, à leur culture, au langage. Notre perception est de ce fait passée d’une compréhension métaphysique à une compréhension historique. Un déplacement s’est opéré« du savoir à l’interprétation » (Claude Geffré) »[1].

Le blocage des évangéliques

Cette découverte a permis au protestantisme de lire et d’interpréter les Écritures d’une nouvelle manière. Il est vrai que toute une frange importante a refusé cette révolution intellectuelle et tient toujours à pratiquer une lecture fondamentaliste de la Bible ; c’est à dire à prendre les textes à la lettre. Ainsi pour le véritable fondamentaliste le récit de la création tel qu’il est décrit au livre de la genèse est une vérité historique. Le monde a bien été créé en une semaine il y a environ 6 000 ans.
L’Islam a connu le même problème. Averroès qui vécu entre 1126 et 1198, médecin, mathématicien, théologien, osa s’opposer à Al Ghazali qui avait vécu un siècle plus tôt et qui souhaitait un retour strict au septième siècle. Averroès fut accusé d’hérésie, ses livres furent brûlés et lui-même exilé. Depuis donc le XII eme siècle les intégristes fidèles à Al Gazali et ses successeur ont confisqué l’Islam.

Notre contexte social bouge

Entrée dans le vingt et unième siècle, nous constatons qu’une nouvelle réforme de la Réforme s’imposera pour actualiser le message fondateur. Le contexte dans lequel nous vivons est fort différent de celui dans lequel vivaient les chrétiens de l’Église primitive et les réformateurs du seizième siècle. L’économie d’alors obéissait déjà aux lois du capitalisme mais d’un capitalisme qui obéissait aux lois du marché, c’est-à-dire aux lois de l’échange marchand qui suppose une équivalence des produits échangés et donc des individus capables d’estimer la valeur des produits. Les uns produisent régulièrement  pour les marchés qui devient le lieu de leur enrichissement. Si l'enrichissement prend de l’ampleur il passe au niveau du capitalisme commercial qui gère offres et demandes en plus grande quantité. Depuis l’économie a muée et obéit aux lois d’un capitalisme financier qui s’impose dans le monde entier. Ce capitalisme financier d’un tout autre ordre, repose sur les paris et la spéculation.

Un exemple des méfaits du néolibéralisme: la crise de 2007  

Au début des années 2 000 le marché immobilier augmente  régulièrement. Le président de la  Banque centrale américaine décide d’encourager  le crédit hypothécaire. Les institutions de crédit vont proposer à des ménages aux revenus très modestes d’emprunter une somme importante pour s’acheter une maison. Ils leur disent : « Vous n’êtes pas propriétaires mais vous allez le devenir. On va vous prêter l’argent nécessaire pour cela. Vous commencerez à nous embourser dans trois ans. Si vous avez des difficultés, ce n’est pas grave du tout. En effet le prix de votre maison va augmenter. Donc vous pourriez la revendre et nous rembourser. D’ailleurs on vous prêtera de nouveau de l’argent pour vous permettre de rembourser le premier prêt ».  En quelques années trois millions de ménages pauvres, souvent illettrés, s’engagent dans cette aventure. Hélas ! Le prix des maisons s’écroule. Les institutions financières exigent le remboursement des prêts. Elles augmentent le prix des intérêts de façon très importante. Par millions, les petits propriétaires surendettés vont vendre tout ce qu’ils peuvent et vont dormir dans leur voiture.
               
La faillite des banques

Les dirigeants des banques et particulièrement Goldman Sachs subissent alors des pertes hypothécaires vu la baisse du prix de l’immobilier. Elles mettent au point des titres adossés aux crédits hypothécaires en les mêlant à d’autres produits financiers, en mille feuilles. Et sans scrupules elles vendent ces produits douteux. Les économistes de renom se laissent prendre à l’escroquerie. D’ailleurs au début, le prix des maisons sur lesquelles était garantie la qualité de titres augmentaient. C’était la fête. On gagnait beaucoup beaucoup d’argent ! Puis le prix des maisons a perdu de leur valeur ; Les débiteurs ne purent plus régler leurs dettes. Les actifs que détenaient les institutions financières ne valaient plus rien. Les digues qui devaient protéger les institutions financières s’effondrent. C’est le désastre. « Que le débiteur initial fasse défaut et le produit titrisé lui-même se révélera être un poison. La titrisation consiste à métamorphoser le crédit, et la confiance qui l’accompagne en une marchandise »[2]. Plus personne ne peut faire confiance. Le lien social est menacé.

Les méfaits de la religion du capitalisme financier

La lecture du Blog de Paul Jorion comme de certains de ses livres, stimule la réflexion et nous interpelle, nous les protestants. Confronté au cours d’une émission de télévision à un rabbin, un prêtre et un sociologue représentant l’islam, Paul Jorion  fut stupéfait de constater que ces trois interlocuteurs éludaient la question moraIe, et qu’il était, lui Jorion, apparemment le seul homme de foi face à des porte-parole de Wall Street[3]. Si je comprends bien, Wall Street serait devenu, dit-il,  le porte-parole de la religion du siècle qui règne à un tel point que des responsables religieux semblent l’avoir adoptée.
Cette religion s’est imposée dans le monde entier. Elle règne sur les responsables politiques qui obéissent aux injonctions des économistes. La preuve en est que pour sauver le système bancaire, les gouvernements imposèrent aux citoyens les plus pauvres de payer les dettes des banques. Aucun des responsables de ce fiasco ne fut pénalisé. Ils gagnent aujourd’hui des dizaines de millions par an.Ils se sont comporté comme de véritables escrocs. Ils ont causé la ruine de millions de malheureux qui leur avaient fait confiance.

Osons maintenant l’évangile

Il semble qu’il est grand temps pour les Églises de dénoncer sans ménagement le système mis en place pour nous libérer du veau d’or.  Une des choses à faire serait d’interdire les paris sur les fluctuations de prix. L’article 421 du code pénal l’interdisait jusqu’en 1885. Sous la pression du milieu des affaires, cet article a été abrogé. La spéculation a été aussitôt autorisée[4]. Est-il vraiment impossible de dire notre désapprobation de ces pratiques qui détruisent le lien social? Jésus intervenait avec force pour contester l’interprétation que les pharisiens avaient de la tradition transmise par Moïse. «  On vous a dit… et moi je vous dis ». Pour les pharisiens la loi était vécue comme un absolu. Ils distillaient leur lecture de la loi de Moïse comme les économistes aujourd’hui distillent leur loi pour justifier le fait qu’1% de la population mondiale possède les deux tiers de la richesse planétaire. Et 99 % de la population mondiale se partage le tiers disponible pour survivre. Les agents de ce capitalisme financier tiennent les clefs de Bercy, de la City, du FMI, de la BCE. Comme autrefois les saducéens contemporains de Jésus,  et de connivence avec le pouvoir politique romain tenaient les clefs du temple source de leur immense richesse. Les financiers mettent en pratique la loi imposée par les économistes et tiennent les clefs des banques corrompues.
Si la Réforme ne s’est pas sclérosée, elle peut oser reprendre le message de l’Évangile pour sortir le monde de sa torpeur pour le libérer de l’envoutement du néolibéralisme. Savez-vous que Trump veut activer la dérégulation financière ? Qu’il veut limoger Janet Yellen, présidente de la Réserve fédérale américaine parce qu’elle plaide pour un maintien résolu de la politique de régulation financière ? Il souhaite la remplacer par la clique de Goldman Sachs.  ( Le monde du 27/08 )

H. Lehnebach

 

 



[1]« Dans le domaine biblique le travail des exégètes montre que les textes ne permettent pas de savoir ce qui s’est réellement passé. On n’a que des témoignages (non des photographies). Quelles sont les véritables paroles que le Christ a prononcées ? On ne sait pas exactement ! Ce que nous savons est ce que nous ont rapporté des témoins qui ont entendu Jésus parler ou qui ont assistéà des événements dont on a le récit. Ils disent ce qui est vérité selon leur point de vue. Ce n’est pas une vérité dogmatique. Ils transmettent une interprétation de ce qu’ils ont entendu, ou de ce dont ils ont fait l’expérience. Nous-mêmes en faisons autant car, à notre tour, nous interprétons le texte. Ainsi pour un seul événement nous avons quatre récits différents : Matthieu, Marc, Luc et Jean qui sont tous les quatre des interprètes de la vie de Jésus et de son Évangile ».

 

[2] Gaël Giraud, L’illusion financière, ed. les ateliers. 2013

[3] Paul Jorion, Misère de la pensée économique, ed. Champs actuel.2015

 

Le débiteur impitoyable

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Nous trouvons dans l’évangile de Matthieu une parabole de Jésus qui pourrait parfaitement concerner les banquiers de Goldman Sachs qui ont provoqué la crise de 2008. Voici la parabole qui se trouve dans l’évangile de Matthieu au chapitre 18 : « Ainsi en va-t-il du Royaume des cieux comme d’un roi qui voulut régler le compte de ses serviteurs. Pour commencer, on lui en amena un qui lui devait dix mille talents. Comme il n’avait pas de quoi rembourser, le maître donna l’ordre de le vendre ainsi que sa femme, ses enfants et tout ce qu’il avait, en remboursement de sa dette. Se jetant à ses pieds, le serviteur prosterné lui disait «  Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout. Pris de pitié  le maître de ce serviteur le laissa aller et lui remit sa dette ».         

Cette histoire rappelle ce qui est arrivé aux banquiers qui avaient monté une opération financière très risquée. Ils avaient tout d’abord convaincu de pauvres bougres de leur emprunter beaucoup d’argent pour s’acheter une maison. Ils leur avaient dit : « Vous allez pouvoir vous acheter une maison. Nous allons vous prêter l’argent nécessaire. Si vous aviez des difficultés pour nous rembourser, ce n’est pas grave. Comme le prix des maisons ne cesse d’augmenter, la vôtre vaudra plus cher dans quelque temps. Vous pourrez alors la revendre et nous rembourser. Il vous restera même de l’argent ». Ainsi fut fait pour trois millions de foyers. Hélas. Le prix des maisons s’est peu à peu effondré. Les banquiers eurent alors l’idée de fabriquer des « mille-feuilles ». Je veux dire des « titres » garantis par les maisons.  Ils mélangèrent ces titres avec d’autres produits du même genre et vendirent ces mille-feuilles à d’autres banquiers qui croyaient faire une bonne affaire quand ils revendraient ces titres. Tout le monde gagnait beaucoup d’argent. C’était la fête. Mais voilà ! Le prix des maisons s’est écroulé. Les pauvres bougres qui les avaient achetées ne pouvaient rembourser. La grosse banque faisait faillite. Le maître, je veux dire le gouvernement, a convoqué les responsables de ce fiasco et leur a dit : je ne vous aiderai pas. Vous allez tout perdre et peut-être même allez en prison. Alors les banquiers ont demandé pardon comme l’intendant infidèle de la parabole et ont demandé qu’on les aide à sauver leur banque et leur peau. Le maître, c’est-à-dire le gouvernement, a pardonné et sauvé le système bancaire. Goldman Sachs a reçu l’aide de la Réserve Fédérale et a été sauvée.        

Sitôt fait, les banquiers se sont comportés comme le débiteur dont Jésus parlait.  En effet « en sortant, ce serviteur rencontra un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il le prit à la gorge et le serrait à l’étrangler en lui disant « rembourse ce que tu dois ». Son compagnon se jeta à ses pieds et il le suppliait en disant « Prends patience envers moi et je te rembourserai. Mais l’autre refusa. Bien plus, il s’en alla le faire jeter en prison, en attendant qu’il eût remboursé ».

C’est exactement ce qui s’est passé. Les banquiers qui avaient été pardonnés, ont jeté les pauvres bougres qui avaient acheté leur maison à crédit sur le trottoir avec leurs meubles. Ils n’avaient plus qu’à dormir dans leur voiture s’ils en avaient encore une. Les Grecs qui avaient emprunté beaucoup d’argent grâce aux mêmes banquiers qui avaient truqué leurs comptes, se sont trouvés eux aussi à la rue. Ils furent obligés de vendre une partie de leur pays pour rembourser une petite partie de leurs dettes.

L’histoire ne se termine pas comme dans la Bible. Jésus en effet termine sa parabole de la façon suivante : le maître informé du comportement odieux de son serviteur le livra aux tortionnaires en attendant qu’il rembourse tout ce qu’il devait. Dans notre histoire, les banquiers furent au contraire renfloués. Les responsables devinrent même encore plus riches qu’auparavant. Leurs dettes furent payées par le peuple des pauvres gens des différents pays concernés par une crise effroyable.

Conclusion : si nous voulons être fidèles à l’évangile, il faut absolument imposer des règles sévères pour que les banquiers ne puissent plus spéculer et faire des paris avec l’argent que les gens leur confient. Ils devraient au contraire aider ceux qui veulent monter une entreprise pour faire travailler d’autres personnes afin de créer des richesses pour le bien de tous. Il y a tant de choses positives à faire comme créer de l’électricité avec les rayons du soleil, isoler les maisons pour économiser la chaleur, faire pousser des légumes sans utiliser du glyphosate cancérogène ! Ce n’est hélas,  pas pour demain. Je lis en effet dans le journal que Bruxelles voudrait que les entreprises comme Monsanto, Bayer et d’autres encore, puissent être autorisées à vendre du glyphosate même si cela fait mourir du cancer ceux qui mangent les légumes pollués par  ces produits. Madame Janet Yellen, Présidente de la Réserve Fédérale, veut maintenir la régulation financière qui contrôle maintenant les banques. Trump souhaite revenir à la folie de la dérégulation et chasser Janet Yellen.

C’est bien Jésus qui nous exhorte à ne pas laisser la religion démoniaque du capitalisme financier nous endoctriner.

La résurrection (Lettre à une amie)

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Ma chère amie,      

Tu as posé une question hier sur la résurrection. Que doit-on en penser ? Comment y croire ?  Alors je t’écris cette lettre pour te donner ma réponse qui ne correspond sûrement pas à ce que tu as entendu dire dans ton église.

La vision dont parle Paul est celle d’une apparition qu’il a eue sur le chemin de Damas. Ce n’est pas une vision réelle. Il s’agissait d’une manifestation visible par lui seul d’un être surnaturel. Ceux qui l’accompagnaient n’ont rien vu. Il faut donc essayer de comprendre le récit de Paul au second degré, non pas à la lettre. C’est au livre des Actes, chapitre 9, verset 5 et suivants, que l’on peut lire le récit de cette apparition à la suite de laquelle il s’est converti.

Je me risque maintenant à te dire à partir de ce que Paul dit lui-même de la résurrection dans l’épître aux Corinthiens (1 Co. 15, 1-9), ce que l’on peut en penser[1].

Paul affirme que les Corinthiens ont reçu le credo, l’affirmation selon laquelle Christ est mort pour nos péchés… Il ajoute : « Il est ressuscité le troisième jour ». Il transmet une confession de foi qu’il a lui-même apprise. Il dit bien « Je vous ai transmis ce que j’avais reçu moi-même » ( v. 3). Il s’agit d’une parole, de ce que quelqu’un lui a transmis. Il ne s’agit pas du compte rendu d’une vision effective dont le résultat aurait pu être celui d’une photographie comme on en fait maintenant avec son portable.

« Ensuite, il est apparu »( v.6 ).  Jésus s’est fait voir. C’est une vision comme on peut en avoir en rêve. Ce n’est pas une vision comme celle que l’on peut avoir en regardant un panorama du haut d’une colline. C’est une expérience subjective.

Ensuite Paul dit que 500 frères ont eu cette même vision. Cela veut dire que seuls les frères, donc des disciples, ont vu Jésus ressuscité, ont eu cette vision. Les autres, ceux qui ne croient pas, qui ne sont pas chrétiens, ne voient pas Jésus ressuscité. 

Il ajoute que lui aussi a eu ce même type de vision sur le chemin de Damas ; Il dit : «  il m’est aussi apparu à moi l’avorton » ( v.8) . Donc pour croire à la résurrection, il faut faire cette expérience de croire ce qu’on vous a dit pour avoir tout d’un coup la certitude que Jésus est bien vivant, que nous pouvons comprendre ce qu’il a dit, et puis voir, imaginer ce qu’il a fait quand il était avec ses disciples sur les routes de Galilée. C’est le langage de la foi. Ce n’est pas un langage rationnel, logique, scientifique, historiquement démontrable.

Les évangiles, Marc entre autres, « démontrent » que la résurrection se prouve par l’absence. Le tombeau est vide. C’est tout ce que l’on peut savoir de ce qui s’est passé. J’ajouterai que cela s’est passé« dans la tête des disciples ». Comme sur le chemin d’Emmaüs. 

On peut se demander : « mais pourquoi Jésus est-il mort crucifié  » ?        

Jésus avait pris d’énormes risques. Il s’était permis de réinterpréter la loi héritée de l’histoire du judaïsme. Il s’était élevé contre la religion qui tenait la société de son temps à sa merci. Il se moquait du rituel comme le respect du sabbat. Son discours revenait à dire haut et fort : « ne croyez surtout pas à tout ce que les prêtes vous disent. Ce sont des menteurs qui se servent de la religion pour vous asservir. Il vous faut démystifier tout ce que l’on vous a dit des Saintes Écritures ». Il considérait indispensable de séparer la religion de la politique. Bref ! Il mettait tout le système social à bas. Il était donc tout à fait évident que ceux qui vivaient du système qu’il dénonçait souhaitent le faire mettre à mort.

Certains, très nombreux, demandent : mais pourquoi Dieu n’est-il pas intervenu pour le sauver et démontrer que Jésus avait raison ? Ceux qui se posent cette question se font de Dieu l’idée qu’il est doté d’une puissance surnaturelle et qu’il peut intervenir du haut du ciel pour régler nos problèmes. C’est l’idée qu’en avaient les populations autrefois. Aujourd’hui, vu nos connaissances scientifiques, nous savons que croire ce genre de choses n’a aucun sens. Paul Ricœur explique [2] que c’est Feuerbach qui le premier a expliqué que si l’homme était totalement occupé par un dieu qui le domine, il est religieusement aliéné. Il est totalement dominé et ne peut être lui-même. Plus tard Karl Marx, Freud, Nietzsche ont dit, chacun avec ses raisons philosophiques, la même chose. Dieu ne pouvait intervenir. D’ailleurs s’il l’avait fait, on aurait fait de Jésus un dieu, une idole.

Les évangiles disent que Dieu est mort à ses côtés pour la simple raison qu’ils veulent vraiment nous libérer de l’image que l’on se faisait de Dieu. Ils veulent nous transmettre le message de Jésus, à savoir que Dieu veut que l’homme soit un être responsable, qu’il devienne vraiment lui-même. Que l’homme soit.

C’est pour cela que  croire en la résurrection, c’est être sûr que la vie a un sens parce que nous sommes nous-mêmes ressuscités avec Christ,  que la vie triomphe de la mort. C’est ce qu’ont cru ses disciples. C’est ce qu’ils nous ont dit en affirmant que Jésus était ressuscité des morts. La preuve en est que son message est toujours vivant. Nous sommes invités comme le dit Serge Soulié[3]  à penser que la résurrection est une parabole qui invite les vivants  à rebondir sans cesse tout au long de la vie et à aller de l’avant sans attendre une nouvelle vie après la mort. Il nous faut faire confiance à Dieu qui est une force  disponible, que nous n’avons pas à craindre ni à supplier. Cette force est en nous si nous la laissons vivre. Serge Soulié ajoute : « Dieu se découvre dans la qualité de la relation que l’homme peut avoir avec les êtres et les choses de ce monde. Il n’est pas une morale… il surgit des actes et des paroles qui libèrent, il est une force  qui parcourt les êtres et les choses de ce monde ».

En espérant chère amie, ne pas t’avoir trop bousculée, mais au contraire aidée, avec mon amitié,

Hugues Lehnebach, le 01/11/2017


[1] A partir de l’étude qu’en a faite Elian Cuvillier,

[2] Ricoeur, Plaidoyer pour l’utopie ecclésiale, ed. Labor et Fides, 2016

[3] Serge Soulié, La fin d’une religion, ed. La barre Franche, 2017

Inculturation

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S’inculturer pour une religion, c’est s’inscrire dans une nouvelle culture. Olivier Roy[1] pense que toute religion s’inculture dans la culture dominante. Les premiers chrétiens restaient dans le cadre du judaïsme. Les évangiles sont une réinterprétation de l’Ancien Testament. Ils ne se doutaient pas que leur message allait les faire sortir d’un monde culturel pour déboucher sur un autre monde. Ainsi le christianisme à ses débuts, s’est inscrit dans la culture gréco-romaine. Les croyants baignent dans une culture qu’ils vont christianiser. Le formatage de la foi chrétienne dans les catégories intellectuelles de l’hellénisme a été douloureux. Comment par exemple expliquer la double nature du Christ, à la fois Dieu et homme ? En 451 l’Église s’est divisée entre ceux qui pensaient que Jésus était totalement divin et ceux qui considéraient qu’il gardait une dimension parfaitement humaine.

Martin Luther partageait la culture catholique dans laquelle il avait étéélevé. Il considérait que le catholicisme était parfaitement infidèle. Il voulut le rechristianiser. Mais au XVIIIe siècle le protestantisme va à son tour s’inculturer dans la culture dominante, celle des Lumières. Il va tenter d’exprimer sa foi dans le langage de la modernité. Les protestants vivront leur religion enchâssés dans une culture anglo-saxonne nourrie par les « réveils » religieux des XVIIIe et XIXe siècles.

Le courant des protestants libéraux va s’efforcer d’exprimer sa foi dans un langage compréhensible qui prend en compte l’évolution culturelle de la société. Il va prendre le train de la modernité. Au XXe siècle la théologie du Process qui prend à son compte les données de la relativité, et l’apport de Paul Tillich,vont lui être d’un grand secours pour repenser la théologie.  
De son côté L’Église catholique va, depuis Vatican II, s’ouvrir et accepter la modernité tout en maintenant « la substance catholique » comme dit Paul Tillich, c’est-à-dire l’identification des sacrements à la présence divine, soit le maintien de la tutelle de l’institution comme seul relais avec Dieu.

L’inculturation de l’Islam est l’espoir de voir se régler le conflit latent entre l’islamisme et la culture occidentale. Si le chiites sont plus favorables à une réinterprétation du Coran, les sunnites - 80 % de la population musulmane - y sont farouchement opposés. Ils refusent tout dialogue puisque le Coran fait loi absolue. S’ils semblent parfois ouverts au dialogue, ce n’est que tactique pour faire triompher l’islam grâce à l’autorisation coranique de la dissimulation. Il n’y a donc a priori rien à attendre d’une rapide évolution religieuse. En fait, il semble que 20 % de leur population soit fermée et rigide, vraisemblablement sous l’emprise wahabite qui finance leurs communautés. Les 80 % restants seraient dit on, modérés, et prêts à fonctionner dans un État laïc, alors que pour l’islam, tout gouvernement doit rester contrôlé par un ayatollah comme en Iran. Cela laisse donc augurer qu’une intégration culturelle est possible, et faciliterait à terme l’inculturation. Une condition toutefois à ce processus : l’accueil bienveillant, sinon il y a crispation sur des questions comme le port du voile. Ces crispations soulignent un rappel identitaire et la rancoeur de ceux qui n’oublient pas les méfaits de la colonisation.

Hugues Lehnebach


[1] Olivier Roy, La sainte ignorance, Édition Le seuil.

Le fondamentalisme

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Le fondamentalisme est une idéologie religieuse née dans les milieux évangéliques conservateurs du sud des États-Unis. Ce mouvement se répand de façon insidieuse et a alimenté l’extension extraordinaire des églises évangéliques. Séduits par ce courant, nombre de personnes insécurisées par la période instable qui est actuellement la nôtre, peuvent se laisser prendre sans avoir vraiment conscience de ce que sous-entend l’adhésion à cette néfaste mouvance.

Les sources du fondamentalisme

Le fondamentalisme a pour fondamentaux 10 volumes publiés entre 1910 et 1915 par deux frères qui étaient hommes d’affaires. Ces volumes étaient le recueil des textes sacrés édités au début du siècle par des théologiens évangéliques conservateurs. Le fondamentalisme a redoublé de vigueur entre 1980 et 1990. A partir de l’élection de Bill Clinton en 1992, le mouvement se renforce sous la forme de la Christian Coalition qui revendique 1,5 million de membres exerçant une forte influence politique. D’après un sondage réalisé dans les années 80, un américain de cette mouvance sur trois dit avoir vécu une conversion. Un sur deux est convaincu que la Bible contient la vérité absolue.

Bouleversement du sens intime du moi

Après avoir puisé dans la documentation de Lienesch, Manuel Castells [1] dessine ce qui façonne le moi intime du fondamentaliste. En premier lieu la conversion. Par un acte de foi, le pécheur est pardonné. Il est  arraché au péché. Il est sauvé pour l’éternité. Dès lors, il vit une seconde naissance et se  dit « né de nouveau ». Non seulement son identité, son autonomie sont réédifiées, mais il adopte automatiquement un ordre sociétal et politique idéal qui s’oppose à celui de la société dans laquelle il vit.

Les fondamentaux du fondamentalisme

L’inspiration littérale et absolue de la Bible ne peut être mise en doute. Ainsi le monde a bien été créé il y a environ 6 000 ans. Nous sommes les descendants d’Adam et Éve. Les théories de l’évolution héritées de Darwin sont donc  des vomissures.        
Par sa mort sur la croix, Christ a racheté nos péchés pour payer ainsi à Dieu le prix de l’affront que nous lui avons fait par nos fautes.  
Le Christ reviendra bientôt du ciel sur la terre. Les fondamentalistes affirment  la divinité du Christ, sa naissance virginale, la Trinité, le retour en gloire du Christ et le Jugement dernier.

Les doctrines éthiques

Il faut réédifier la famille, institution sur laquelle est fondée la société. Il convient de réaffirmer le caractère sacré du mariage et le patriarcat. L’autorité de l’homme sur la femme est justifiée par l’Épître aux Éphésiens (ch. 5,  22-23). La femme affirme son identité par le sens du sacrifice. Les joies du rapport sexuel sont sanctifiées. La sublimation sexuelle est le fondement de la civilisation. Cela semble parfaitement en accord avec la sourate 2, 223 du Coran : « vos femmes sont pour vous comme un champ de culture, allez à vos champs comme bon vous semble ». Les enfants désirent le mal. Ils méritent donc la fessée pour leur inculquer la crainte de Dieu.

Il faut ajouter des doctrines éthiques comme l’interdiction de l’IVG, du divorce, de l’homosexualité, le mariage pour tous, le contrôle des naissances, l'assistance médicale à la procréation, la gestation pour autrui, l'euthanasie. L’Église catholique est sur le même registre. 

Orientations politiques     

La fin des temps approche. Il faut donc nettoyer la société et se préparer au second avènement de Jésus Christ ! Soutenir l’ultralibéralisme s’impose. Martin Lutter contre l’État pour faire de très bonnes affaires en obtenant une baisse des impôts pour qu’ils n’excèdent pas 10 % est une priorité. Les fondamentalistes, soutenus par les télévangélistes, soutinrent Ronald Reagan en 1980. C’est à partir de positions fondamentalistes que des protestants ont soutenus l’apartheid en Afrique du sud.  Pour eux, les ennemis contre lesquels il faut lutter sont les médias, le système scolaire en place, les humanistes, les banquiers, les élites intellectuelles, les homosexuels, les hérétiques, les étrangers. Il convient d’abandonner les pauvres sans mérites à leur triste sort.

Conclusion  

Cette idéologie se répand sur la planète à grande vitesse en soutenant le nationalisme et le néolibéralisme, portes ouvertes à l’extrême droite, voire au fascisme, ce qui n’a vraiment plus rien à voir avec le christianisme.

Hugues Lehnebach


[1] Manuel Castells, Le pouvoir de l’identité, tome 2, éditions Fayard, 1999

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